Donner un sens à sa classe

C’est quoi une classe inversée ?

“Des vidéos à la maison, des exercices en classe”. C’est ainsi qu’on résume habituellement la classe inversée  , notamment dans les médias. Cependant, inverser sa pédagogie est bien plus complexe qu’il n’y paraît. D’ailleurs, vouloir définir simplement la classe inversée n’est pas chose facile : il y a autant de types d’inversion que de professeurs qui la pratiquent. Le concept est perpétuellement remanié.

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Une scénarisation possible

On oppose trop souvent la classe inversée   à la méthode traditionnelle, sous-entendu “la méthode magistrale”. Cette simplification peut parfois laisser penser à un enseignant qui ne pratique pas la classe inversée que c’est mal et qu’il a tout faux ! C’est aussi pour cette raison que certains critiquent le courant qui semble vouloir s’imposer actuellement et que d’autres annoncent fièrement “Je fais cela depuis longtemps !”

Il est vrai que le principe existe depuis plusieurs années. La classe inversée n’est en fait qu’une modalité de scénarisation possible au service de la pédagogie active. Elle vient enrichir les possibilités d’actions des enseignants. Cette stratégie “ ne s’oppose pas à une pédagogie plus classique, la pédagogie inversée   ne constituant pas une révolution, mais plutôt une évolution, tout simplement une démarche complémentaire à la panoplie de chaque enseignant.” [1] Il faut donc voir la classe inversée comme la convergence de plusieurs pratiques dont la scénarisation permet une gestion différente du temps de classe au profit des apprentissages de l’élève.

Qu’inverse-t-on ?

La définition médiatique de la classe inversée laisse supposer une inversion de la chronologie et des lieux des apprentissages. C’est le cas. Il en va de même des relations au sein de la classe, des positionnements de chacun, des rôles respectifs du professeur et de l’élève. Si on ne les inverse pas, du moins les modifie-t-on. L’organisation spatiale de la salle de classe peut aussi en être bouleversée.

Le statut du savoir change également. Avec Internet, il est partout, accessible, disponible [2]. En classe, il n’est plus uniquement transmis par l’enseignant, il est construit au cours de la séance avec l’ensemble des élèves. Cette co-construction du savoir fait appel au travail de groupe, à la pédagogie de projet, à l’apprentissage par ses pairs, à l’auto-apprentissage… Dans ce contexte de mise en activité, l’enseignant n’est plus constamment le transmetteur du savoir, il guide l’élève qui devient "un partenaire actif dans la construction de ce savoir” [3]. Cette redéfinition des rôles n’est cependant pas l’apanage de la classe inversée qui combine en fait plusieurs approches de la pédagogie active.

Le point commun entre toutes les pratiques de classe inversée est de prendre réellement en compte le “travail à la maison”, ou, plus exactement, les activités réalisées sans l’aide de l’enseignant hors de la classe, et d’externaliser une partie des apprentissages en amont de la séance. C’est ce que font en 2004, dans l’état du Colorado, deux professeurs de chimie considérés comme les pionniers de la classe inversée (flipped classroom) : Jonathan Bergmann et Aaron Sams déposent sur Youtube les vidéos de leurs cours que les élèves peuvent consulter librement. En classe, les séances sont consacrées à diverses activités destinées à générer des échanges entre professeurs et étudiants. Même si le modèle a bien évolué depuis, le principe de la classe inversée est bien là ! [4]

Pourquoi inverser ?

A l’origine, J. Bergmann et A. Sams proposent leurs vidéos en ligne afin de permettre aux élèves absents de suivre à distance leurs cours. Constatant que ces élèves sont plus motivés, ils décident alors de généraliser la méthode à l’ensemble de la classe. En proposant en ligne les notions théoriques à consulter hors du temps de classe, les deux professeurs deviennent aussi plus disponibles en classe pour aider les élèves dans l’appropriation du savoir.

Pour un enseignant, faire de la pédagogie inversée, c’est externaliser, en amont de la séance, une partie des apprentissages pour se libérer du temps en classe afin "d’intervenir de manière directe et en temps réel dans le processus d’apprentissage" de l’élève.

Cette externalisation permet une (meilleure) préparation de la séance par les élèves, ainsi qu’une préparation des élèves à la séance. Elle doit les appâter, les motiver, les interroger. Ils découvrent à leur rythme les notions du cours.
L’élaboration d’un questionnaire [5] avant ou en début de cours permet de détecter plus tôt les incompréhensions et les difficultés. Cela permet également d’organiser sa classe en constituant des groupes homogènes ou hétérogènes et de mieux gérer la diversité des élèves. "En mettant les éléments transmissifs à distance" [6], l’enseignant se libère du temps en classe pour mieux accompagner les apprentissages des élèves. Il est plus disponible pour les élèves en difficulté et peut guider les autres dans des tâches plus ambitieuses. C’est également du temps libéré pour le suivi, l’observation et l’évaluation des élèves.

La classe inversée peut être l’occasion de mettre réellement en œuvre une méthode de découverte. En effet, les contraintes de temps et de programme autorisent peu les tâtonnements et la dispersion. La pédagogie active se résume généralement à la mise en activité des élèves dans un contexte somme toute dirigiste qui a pour objectif la construction, lors de la synthèse, de la notion à retenir. En inversant cette approche, on ouvre la possibilité aux élèves de se tromper, de découvrir des contre-exemples et de suivre une voie, non anticipée par l’enseignant, qui leur permettra d’enrichir la réflexion sur le savoir acquis en amont.

En se "libérant", avant la classe, d’une partie de l’aspect théorique du cours, on favorise en classe le développement des compétences et de leur évaluation. Ce travail de découverte avant la séance permet également à l’élève d’objectiver ses apprentissages et de prendre du recul sur son travail.

Avec ou sans numérique ?

La technologie a permis à J. Bergmann et A. Sams d’inverser leurs classes. On était aux débuts de YouTube et c’est en découvrant, par hasard, une logiciel permettant de sonoriser et d’annoter leurs diaporamas qu’ils ont eu l’idée (et la possibilité !) de transformer leurs cours en vidéos. Le numérique semble donc donner un nouvel essor, une nouvelle dimension, à la pédagogie inversée. S’il n’est pas indispensable, il facilite grandement sa mise en œuvre.

Grâce au numérique, l’enseignant peut se dédoubler par l’intermédiaire de ses supports vidéo et des outils de communication à distance. Les ressources, de natures variées, peuvent être consultées sur des supports numériques multiples, à tout moment, plusieurs fois, au rythme de chaque élève. Les outils de création de formulaires et de quiz en ligne permettent une évaluation (voire une auto-évaluation) des élèves à distance et de récolter leurs questions. Les outils de travail collaboratifs permettent d’envisager des activités de groupe en dehors ou dans la classe et facilitent la mise en commun des bilans intermédiaires nécessaires à la synthèse.

Une utilisation pertinente du numérique favorise donc l’inversion de la pédagogie, encore faut-il s’assurer que les élèves puissent accéder aux ressources et sachent les utiliser. La classe inversée peut être l’occasion de vérifier et/ou de développer les compétences numériques des élèves.

Les conditions de réussite

La classe inversée ne doit pas être l’unique méthode pédagogique utilisée par l’enseignant. Il est indispensable de varier les approches. On ne peut pas inverser tout, tout le temps !

L’inversion ne s’improvise pas. Elle doit être intégrée dans le continuum que représentent les différents temps d’apprentissages d’une séquence pédagogique (activités, découvertes, apports théoriques, synthèses…). Cette dernière doit être pensée dans sa globalité. Dans le cas contraire, la classe inversée risque de s’apparenter à de "l’enseignement frontal à distance" [7] qui ne ferait qu’exporter le cours magistral hors du temps de classe.
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L’efficacité de la classe inversée dépend de la mise en œuvre en classe d’une pédagogie active qui doit s’appuyer sur une analyse rigoureuse des retours des activités réalisées hors de la classe (réponses au quiz, questionnements ou représentations des élèves, échanges, etc).

L’enseignant devient donc un scénariste. Scénariste de ses séquences pédagogiques, mais aussi scénariste des capsules qu’il propose à ses élèves. Destinées à un usage (ou à une lecture) en autonomie, le plus souvent seul, sans la présence du professeur, les capsules doivent être de qualité. Elles doivent être claires, explicites, justes, avec un vocabulaire adapté, pas trop longues, attractives et stimulantes... Les capsules sur support numérique devront également répondre à des contraintes techniques  : taille et qualité de l’image, qualité de l’audio, poids du fichier, disponibilité pour tous les supports, consultation facile...

Dans ce cas, il est difficile de trouver la ressource idoine répondant à l’ensemble de ces critères. Transformer une capsule existante [8] ou réaliser sa propre ressource accroît, pour l’enseignant, le temps de préparation. Cependant, les capsules sont généralement réutilisables d’une année à l’autre. Elles doivent pouvoir également être disponibles et utilisées tout au long de la séquence comme coups de pouce en classe ou comme outils de révision. Dans ce but, il est conseillé de réaliser un découpage fin des notions à acquérir dans autant de capsules qui rentabiliseront ainsi l’investissement du professeur.

De plus, il faut pouvoir proposer un ensemble de ressources de types et de natures variés, afin de rompre la monotonie générée par la répétition d’activités identiques et de répondre à la diversité des élèves de la classe.

La classe inversée ne doit pas creuser le fossé numérique qui peut exister entre les élèves. Il est nécessaire de tenir compte des élèves susceptibles de ne pas avoir chez eux l’équipement nécessaire pour réaliser l’activité hors classe. Cette dernière doit être proposée longtemps à l’avance afin de leur permettre de la faire en un autre lieu qu’à la maison. Il est envisageable également de prévoir des substituts à Internet comme, par exemple, la possibilité de distribuer les ressources sur support nomade, ou de proposer des bornes de chargement au sein de l’établissement...
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Pour une classe inversée réussie, chacun doit accepter de changer sa posture. L’enseignant devient un médiateur, un accompagnateur des apprentissages. Il reste cependant le garant de la rigueur et de la validité du savoir. C’est celui qui enseigne la méthode, celui qui donne les consignes, celui qui évalue et aide à évaluer. Il fixe les repères pour permettre aux élèves d’avancer dans leurs apprentissages.
De son côté, l’élève doit accepter que le professeur ne soit plus l’unique détenteur du savoir. Il doit aussi admettre qu’il a le droit à l’erreur et la reconnaître comme source d’enseignements. Pour qu’il adhère pleinement à la classe inversée, il a besoin de comprendre la démarche engagée et de connaître les attentes du professeur.

[1Extrait de la Préface écrite par Catherine Becchetti-Bizot dans "Classes inversées - Enseigner et apprendre à l’endroit" - Marcel Lebrun & Julie Lecoq, éditions Canopé

[2Référence à la "Petite poucette" - Michel Serres, éditions Le Pommier !

[3“Classes inversées - Enseigner et apprendre à l’endroit" - page 74 - Marcel Lebrun & Julie Lecoq, éditions Canopé

[4L’origine de la classe inversée daterait de 1920. Plusieurs vagues pédagogiques enrichissent et transforment le concept initial. Voir le bref historique proposé par le site ACCES.

[5ou d’une activité analogue permettant le positionnement des élèves

[6“Classes inversées - Enseigner et apprendre à l’endroit" - page 73 - Marcel Lebrun & Julie Lecoq, éditions Canopé

[7Lire le billet "Apprentissage par enquête et Pédagogie inversée" - André Roux Les carnets du renard ROUX.

[8Encore faut-il en avoir l’autorisation !