Le manuel réinventé

Depuis la Renaissance, la diffusion du livre allait de pair avec la diffusion des informations et des savoirs. Diffusion pendant longtemps contrôlée par les pouvoirs spirituel et temporel, soumise à la censure, avant d’être libérée sous la pression des progrès de l’esprit critique et des mouvements d’émancipation des peuples.

L’essor du numérique nous place actuellement devant un redoutable paradoxe. En effet, le livre (dans sa conception « artisanale » traditionnelle), qui a longtemps matérialisé le savoir, semble aujourd’hui faire figure de carcan et d’obstacle à sa diffusion. Autrefois contraint par la chaîne du livre, l’écrit est aujourd’hui de moins en moins stabilisé. Toujours dépendant du degré de maturation de réflexion de son ou ses auteurs, sa diffusion devient aujourd’hui plus ouverte en proposant un accès non restreint à une communauté de lecteurs aptes à réagir ou interagir. Le savoir en devient (plus) vivant et se rapproche de la notion de work in progress ou de chantier perpétuel.

Ce qui est vrai du livre l’est également du manuel scolaire. On sait depuis au moins une décennie que, du fait de l’apport du numérique, ce dernier est en pleine mutation. Mutation de sa forme et son contenu, mais également mutation des supports permettant de le consulter. Paradoxalement, l’introduction récente des appareils mobiles redonne un sens à la première acception du mot manuel, mais modifie également le rapport que peut avoir l’utilisateur avec l’objet et avec le contenu que l’on attend d’un « livre compagnon » conçu pour faire savoir et pour faire apprendre.

Du manuel numérisé au manuel réinventé

Depuis une décennie, le manuel scolaire est passé par quatre phases, après une phase d’expérimentation et de tâtonnement :

  1. Le manuel numérisé dit « homothétique » ;
  2. Le manuel numérisé « enrichi » ;
  3. Le manuel numérique « interactif » ;
  4. Le manuel numérique « réinventé ».

La version numérisée d’un manuel n’est rien d’autre que le manuel papier sous forme de fichier. Conservant souvent l’aspect du livre originel, le manuel s’affiche alors sur une double-page. Destiné principalement à être vidéoprojeté, sa lecture est facilitée par des fonction zoom et d’annotation. Le format numérique favorise l’indexation et la recherche rapide. Il permet également, quand ceci est autorisé par l’éditeur, une extraction des éléments qui le constituent pour une exploitation en dehors du manuel.

Le manuel numérisé était souvent associé à un site compagnon, compilant un ensemble de ressources complémentaires (vidéos, enregistrements sonores, animations et autres médias). Par la suite, ces dernières ont été intégrées dans le manuel « enrichi », tout d’abord par le biais d’hyperliens, puis directement dans les pages.

Le manuel est ensuite devenu interactif et personnalisable, autorisant les modifications en fonction des usages ou de l’évolution des contenus, un document du livre pouvant être remplacé par un autre jugé plus adapté, plus local ou plus récent. L’enseignant peut cacher ou déplacer certaines parties du manuel qui devient alors spécifique à chaque classe. De même, l’affichage peut être différent selon le statut de l’utilisateur (manuel du professeur, manuel de l’élève). Le support du manuel numérique évolue aussi. Distribué initialement sur support physique (cédérom principalement), il est aujourd’hui en ligne avec un accès permettant la différenciation des utilisateurs.

Avec le manuel « réinventé », le manuel scolaire devient réellement le manuel de la classe. Construit à partir des ressources d’origines diverses, il peut être réalisé collectivement par les enseignants et les élèves. Mais ce n’est ni un assemblage hétéroclite de ressources, ni un livre qui se contenterait de compiler des connaissances, aujourd’hui très largement accessibles sur le Web. Cela reste un ouvrage de référence, écrit pour être appris et qui se lit en communauté. Il doit donc répondre à des exigences pédagogiques communes à tous manuels scolaires, auxquelles s’ajoutent des exigences numériques.

A partir de cette évolution, on peut dégager deux types de fondements du manuel, les uns ayant trait à ses missions pédagogiques, les autres correspondant aux services numériques qu’ils doit intégrer pour remplir ces missions dans un environnement numérique de travail et d’apprentissage.

Les fondements du manuel numérique

Fondements pédagogiques

  • La fonction guide : le manuel est une publication regroupant un ensemble de ressources structuré selon un parcours pédagogique. Il sert de guide à l’enseignant et à ses élèves.
  • L’exhaustivité : un manuel traite, de façon « réaliste » compte tenu des contraintes horaires, l’intégralité d’un programme.
  • La validation du contenu : la publication est traditionnellement validée par une autorité scientifique et/ou pédagogique correspondant à un auteur ou à une équipe d’auteurs.
  • La conformité aux programmes et au socle : le manuel n’a de sens que s’il est conforme aux programmes et aux textes officiels. La prise en compte des exigences du socle commun est sans conteste un élément de difficulté, mais aussi une chance pour aller vers des manuels permettant la mise en activité des élèves pour l’acquisition des compétences fixées par le socle.
  • La cohérence du discours : le manuel est une publication cohérente issue le plus souvent d’un groupe de travail qui délivre un « discours » sur le programme.
  • La documentation : un corpus documentaire doit accompagner la partie « cours » du manuel.
  • La didactisation des ressources : les ressources ne sont pas « brutes », mais elles sont mises en contexte pédagogique, en fonction des objectifs de la discipline (donc des attendus didactiques) et des compétences du socle.

Fondements numériques

  • La simplicité d’accès : le manuel est accessible pour le professeur et pour ses élèves rapidement, simplement et sur n’importe quel support.
  • Des ressources multimédias et interactives : un manuel numérique intègre ou renvoie à des ressources exploitant toutes les possibilités multimédias du numérique.
  • Des possibilités d’ouverture et d’évolution : le manuel tire profit des possibilités d’importation et d’exportation des ressources et de personnalisation.
  • Une intégration aux plateformes distantes : le manuel numérique doit pouvoir s’articuler avec des outils permettant le suivi des apprentissages, l’évaluation, etc. À minima, il doit s’intégrer à un espace numérique de travail   (ENT  ). L’idéal est qu’il puisse être intégré aux plateformes d’e-learning   et à tout environnement personnel d’apprentissage en étant accessible en mode connecté et déconnecté, avec des possibilités de synchronisation.
  • Une différenciation des interfaces en fonction des usages : en tant que publication spécifique, appelé à être utilisée par une « communauté d’apprentissage », la forme du manuel doit s’adapter à l’utilisateur et au cadre d’utilisation, éventuellement au support utilisé (fixe ou mobile).

Le manuel numérique, vecteur de changements

Avec les technologies numériques, en particulier celles de la mobilité, c’est tout l’environnement de travail du professeur et de l’élève qui change. Du support unique que représentait le manuel, ce dernier devient multisupports… C’est donc aussi le rapport au manuel qui change. Le professeur doit être capable d’articuler les différents temps d’apprentissage entre petit écran et grand écran, entre visualisation individuelle et visualisation collective et entre écrans « inertes » (permettant un simple affichage) et « écrans communicants » (tablettes/TNI).

Lors des activités collectives, la forme livresque traditionnelle du manuel (avec sa double-page), un temps suffisante aux yeux des premiers usagers, n’est plus justifiée et bloque au contraire les usages. Les enseignants, séduits furtivement par la vidéoprojection de leur manuel, attendent d’ailleurs le plus souvent un accès « granulaire » à une banque de ressources (conformément aux usages permis par la consultation et l’utilisation de multiples ressources sur support papier pour préparer un cours). Ainsi, chez de nombreux éditeurs, on note actuellement, dans leur manuel, la présence bienvenue d’outils de « re-séquençage » des ressources, ce qui n’est pas contradictoire avec les fondements pédagogiques du manuel scolaire et la suggestion éditorialisée d’une progression pédagogique.

L’enseignant doit avoir aussi la possibilité de construire son manuel à partir des ressources sur le web. Mais, dans ce cas, il ne devra pas se limiter à un recueil de contributions ou d’articles sur des thèmes identiques, ou d’un ensemble de « granules » utilisables indépendamment les unes des autres. Il devra utiliser les ressources lui permettant de susciter et d’accompagner une démarche d’enquête, d’approfondissement, d’appropriation des savoirs par l’analyse critique et l’échange. Tout manuel est normalement le produit de ce que les pédagogues nomment « la transition didactique », c’est-à-dire la transformation des savoirs savants en objets d’apprentissage accompagnés d’un outillage ad-hoc. À l’enseignant la responsabilité de concevoir le scénario pédagogique.

Mais s’il utilise les ressources du web, l’enseignant doit aussi veiller à leur validité. Néanmoins cet aspect est en train d’évoluer sous nos yeux avec le développement des ressources « libres », des réseaux sociaux et des espaces de travail collaboratif. Cela ne signifie pas que cette nécessaire validation soit en train de disparaître, mais plutôt qu’elle revêt des formes très diverses, non plus exclusivement fondée sur une relation « verticale ».

C’est donc bien le rapport au savoir qui change car les élèves peuvent accéder en permanence à une quantité quasi illimitée d’informations. Mais, le rôle de l’enseignant reste primordial car l’information n’est pas le savoir. La connaissance se construit. Cela demande du temps,de la distance, de la réflexion et des échanges. Ceci implique donc un changement de la posture de l’enseignant. À lui de créer le scénario et les conditions pédagogiques qui susciteront le questionnement des élèves et assurera le passage :

  • De la donnée à l’information (en lui donnant du sens) ;
  • De l’information à la connaissance (par son travail d’explication et de contextualisation) ;
  • De la connaissance au savoir-faire puis à la compétence (en créant les conditions de travail pratique, de manipulation, de réutilisation et de mobilisation à bon escient des connaissances acquises).

On le voit, le numérique favorise à l’évidence la construction des savoirs par la coopération. Et le manuel scolaire peut être construit par l’ensemble de la classe et devenir, grâce au numérique, le manuel de la classe qui servira de réel outil de travail pour l’élève.

Les appareils mobiles, en remplaçant les livres papiers lourds et encombrants, rendent possible l’accès permanent et ouvert à cet outil de travail. Ils favorisent l’accessibilité aux ressources multimédias en ligne, de n’importe où et n’importe quand. Ils favorisent également leur diffusion, leur traitement, leur modification… Alors que les manuels papiers ne sont que « prêtés » aux élèves, avec le numérique les possibilités d’appropriation vont de paire avec les objectifs d’apprentissage : on n’hésite plus à surligner des passages, à les annoter, à les commenter, à les partager… Avec ces appareils, on redonne un sens à la première acception du mot manuel, comme ouvrage que l’on a « sous la main » pour apprendre, en autonomie ou en étant accompagné. De plus, Les tablettes offrent un confort le lecture supérieur à celui qu’offre un écran d’ordinateur.

De nombreuses applications éducatives mobiles, dont certaines ont été conçues avec des enseignants, peuvent participer à la construction des savoirs des élèves et enrichir le manuel scolaire.

Le manuel papier, figé, est plutôt un élément de référence, là où le manuel numérique est davantage un élément d’adaptation, de déclinaison, d’enrichissement constant. C’est à ces conditions que le manuel scolaire du futur, ou le futur "guide pédagogique numérique", pourra réellement rendre tous les services attendus en s’adaptant aux multiples situations d’apprentissage rendues possibles par l’usage du tableau numérique, des tablettes, des réseaux sociaux, du travail collaboratif, de la baladodiffusion  , etc.

Sitographie thématique

Réflexions et aspects généraux

Dossier "Manuel numérique", Eduscol.

"Le manuel à l’heure du numérique" ; une “nouvelle donne” de la politique des ressources pour l’enseignement, Inspection générale de l’Éducation nationale.

"Les enjeux du manuel scolaire à l’ère du numérique", Les dossiers de l’ingénierie éducative n°66 - juin 2009, Scéren-CNDP.

Séminaire « Manuel scolaire et numérique », Ministère de l’Éducation nationale, 23-24 octobre 2008.

"Quels sont les fondements du manuel numérique ?", ALLOUCHE, Elie, Educavox.

"Les manuels scolaires questionnés par la recherche". BRUILLARD, Eric, In : "Manuels scolaires, regards croisés".

"Le passage du papier au numérique". BRUILLARD, Eric, Hyper Articles en Ligne.

Rapport du STEF - ENS Cachan sur l’usage des manuels numériques dans l’académie de Créteil, BRUILLARD Eric (dir), septembre 2011.

"Le manuel numérique, sitographie.", CRDP de Reims.

"Les manuels numériques.", CRDP de Strasbourg, Savoirs CDI.

"Manuels numériques via l’ENT - Bilan de la deuxième année d’expérimentation", Eduscol.

"Manuels scolaires numériques : lancement de l’expérimentation nationale dans 64 collèges.", Eduscol.

"Modèle économique du numérique éducatif", BASSY Alain-Marie, Laboratoire de Recherche Sciences Techniques Education & Formation.

"Le livre numérique en question", PAQUIENSEGUY Françoise & BOSSER Sylvie, Etudes de communication.

"Le manuel scolaire numérique, produit éditorial et objet documentaire à valeur ajoutée", BOULET Alice.

Référencement, choix des ressources et mise en œuvre

Référencement de l’offre éditoriale sur Wizwiz (CNS et KNE).

Financement des manuels, Eduscol.

Guide des manuels numériques, CRDP de Versailles.

Ressources et manuels numériques, Collectif. 2012-2013 - EducaVox.

Manuels numériques, CRDP de Créteil - Créteil@EduMarket.

Télécharger gratuitement vos manuels numériques, DELMAS Julien.

Remplacer le manuel papier par des versions numériques, CRDP de Limoges.

Manuels de cours numériques - droit d’auteur et gestion, inventaire des solutions disponibles,
PAYETTE Réjean, GTN Québec.

Le manuel numérique à l’étranger : exemples

Les écoles de Shanghai intègreront des contenus numériques et traditionnels.

USA : trois éditeurs contrôlent le manuel scolaire numérique

La Californie fait un grand pas en avant : des manuels numériques gratuits open-source, GARBER Megan, The Atlantic.

Digital Textbook Initiative, California Learning Resource Network, CLRN.

Corée du Sud : Tablettes et manuels numériques pour tous.

Philippines : disponibilités des manuels numériques sur les téléphones portables.

Exemples d’offres commerciales : Inkling. Textbooks et Kno.

Quelques outils pour “réinventer” le manuel scolaire

Didapages 1

Didapages 1 permet de créer des livres multimédias et interactifs. Son utilisation reste relativement facile et peut donc être faite par les élèves. Les possibilités d’activités sont variées, mais on peut lui reprocher la pauvreté des formats des médias à utiliser. De plus, le logiciel dans sa version 1, gratuite, est entièrement construit en flash et permet de créer des ouvrages uniquement dans ce même format qui est incompatible avec les tablettes tournant sous iOS. Les manuels réalisés avec Didapages 1 reprennent le format des livres traditionnels en présentant les ressources dans des doubles-pages, ce qui en limite l’affichage.

L’auteur de Didapages 1 propose également l’application PSD, à installer sur un serveur en ligne, qui permettant la consultation à distance des livres (auto-formation possible) ainsi que le suivi pédagogique des élèves.

Une version en ligne de Didapages corrige quelques défaut de la version 1. Son coût varie en fonction du nombre d’enseignants utilisateurs.

iBooks Author

Logiciel gratuit proposé par Apple permettant de créer des livres interactifs. Il est possible d’utiliser de nombreux modèles très raffinés et d’ajouter une grande variété d’éléments enrichis. Une fois terminé, le livre interactif peut être enregistré au format natif ibooks. Il peut être exporté au format PDF   ou directement publié sur l’iBookstore et sur iTunes U.

Le logiciel est réservé au monde d’Apple. Il n’est disponible que pour les Mac et permet de créer des livres interactifs qui ne seront consultables (pour le format ibooks) qu’avec un iPad.

Calibre

Calibre est un logiciel libre  , gratuit et multiplate-forme destiné à la gestion de bibliothèques de livres numériques. Il permet également la conversion des livres en divers formats numériques dont l’ePub  . Ainsi il est facile, à partir d’un fichier créé depuis un traitement de texte ou d’articles téléchargées sur le Web, de réaliser un livre numérique destiné aux tablettes ;

Pearltrees

Pearltrees est un service en ligne permettant de collectionner des “perles”, c’est-à-dire ses pages Web préférées. Les perles sont organisées entre elles, à la manière d’une carte heuristique  , à partir d’un point central correspondant au thème d’étude.
Les collections peuvent êtres partagées et ouvertes à la collaboration avec d’autres utilisateurs qui peuvent alors les enrichir.

Jogtheweb

Jogtheweb est un service en ligne permettant de sélectionner un ensemble de pages web et de les présenter sous la forme d’un parcours. Ce dernier est malheureusement linéaire, même si chaque lien proposé est directement accessible depuis l’index qui constitue le jog. L’enseignant, auteur du jog, peut ajouter des commentaires qui lui serviront à guider ses élèves lors de la consultation des divers liens.

Scoop.It !

Scoop.it est une application web de curation   de contenus permettant de réaliser son propre journal en ligne (son webzine  ). En fonction des mots clés choisis par l’utilisateur, Scoop.it lui suggère un ensemble de liens. L’auteur du journal sélectionne alors ceux qu’il désire publier et commenter. Il peut également enrichir son webzine de ses propres butinages sur la toile.

Le journal peut être partagé via les réseaux sociaux et les blogs. Les autres utilisateurs sont autorisés à s’abonner et participer à la publication en suggérant à leur tour des contenus.

Symbaloo

Symbaloo est une application en ligne permettant d’afficher une sélection de ressources web sous la forme d’un tableau (le Webmix) personnalisable constitué de blocs de couleur.

Storify

Storify est un outil de curation en ligne. Par glisser-déposer, il permet de “créer une histoire”, c’est-à-dire de glaner des extraits du web (photos, vidéos, textes, commentaires...), notamment des réseaux sociaux.

Les histoires peuvent être partagées et diffusées sur d’autres sites. On peut consulter chaque histoire d’un auteur mais également consulter l’ensemble des éléments publiés classés selon un ordre antéchronologique.

Flipboard

Initialement disponible en application mobile, Flipboard propose actuellement une version web accessible depuis un ordinateur. Le service permet de s’abonner à un ensemble de magazines en ligne proposés par Flipboard et de suivre l’actualité de ses réseaux sociaux. L’application permet également de créer et de partager ses propres magazines au design efficace.

L’utilisateur a la possibilité d’installer, dans la barre des favoris de son navigateur, un bouton spécifique (le bookmarklet ) afin d’ajouter par un simple clic à ses magazines n’importe quel contenu web.