Comment inverser ?

Foire aux questions sur la mise en place d’une classe inversée.

Il y a autant de classes inversées que de professeurs qui la pratiquent [1]. Inverser sa classe ne répond pas à un standard. Cependant, la scénarisation et la mise en place des activités hors et dans la classe soulèvent un ensemble de questions auxquelles ont bien voulu répondre trois enseignants adeptes de la pédagogie inversée   :

  • Sandrine Dinnat, professeur de sciences sanitaires et sociales au Lycée de l’Authie à Doullens (80)
  • Nicolas Lemoine, professeur de mathématiques au Collège Liberté de Drancy (93)
  • Marie Soulié, professeur de français au Collège Daniel Argote d’Orthez(64)

AVANT LE COURS

Quelles activités proposer aux élèves en amont du cours ?

Le plus fréquemment, en classe inversée  , le travail demandé aux élèves hors la classe consiste à visionner des capsules vidéo réalisées par le professeur. Ces capsules peuvent être plus ou moins longues et détaillées, sans excéder 10 minutes. Les différences s’expliquent par le profil des élèves (par exemple, un lycéen pourra soutenir une vidéo plus longue), mais aussi par l’objectif visé par le professeur. Sandrine Dinnat et Nicolas Lemoine produisent des capsules vidéo de quelques minutes pour expliquer certaines notions du cours

 

 

Marie Soulié, quant à elle, n’envisage pas les capsules comme des résumés, mais plutôt comme des « mises en bouche » de la notion permettant d’aiguiser l’appétit des élèves : « On éveille juste leur curiosité en s’appuyant sur leur observation ». Aussi, dans la conception de ses vidéos, ce professeur de lettres s’impose une durée maximale de 2 minutes.

 
https://youtu.be/uybrnlQJP-8?rel=0

Pour une classe inversée efficace, le travail préparatoire doit recevoir un écho en classe. C’est pourquoi, la plupart du temps, la capsule est associée à un questionnaire en ligne dont le professeur exploite les résultats. L’usage le plus courant est d’interroger les élèves sur son contenu et de vérifier ainsi leur compréhension de la notion. Les élèves de Marie Soulié connaissent à l’avance les questions qui leur seront posées car ce sont toujours les mêmes :

  1. Quel est ton nom ?
  2. De quoi parle la capsule ?
  3. As-tu des questions ?

Ces questions n’appellent pas nécessairement une réflexion approfondie. Les élèves « ne sont pas sollicités cognitivement » et, de ce fait, ne sont pas freinés par la difficulté. L’objectif est que tous les élèves puissent réaliser le travail demandé. Une activité trop longue ou trop complexe risquerait de les décourager.

Les formulaires que propose Nicolas Lemoine, comme par exemple celui sur la lecture des graphiques cartésiens, permettent non seulement de tester la compréhension de la capsule par les élèves, mais également de les interroger sur leurs impressions.

Le travail préparatoire est parfois couplé à un travail de copie du cours. Partant du constat que ce type d’activité ne nécessite pas la présence de l’enseignant et consomme en classe un temps précieux aux dépens de la phase de mise en application, Nicolas Lemoine demande à ses élèves de copier la notion sur leur cahier. Le contenu se trouve parfois à l’intérieur même de la capsule (une définition, des dates, etc.). Sandrine Dinnat, quant à elle, demande à ses lycéens (plus autonomes que des collégiens) de « prendre des notes selon une trame proposée ou selon leur propre initiative ».

Si les capsules vidéo semblent être l’usage le plus courant dans ce travail hors classe, ce n’est pas la seule pratique possible. Tous les supports et toutes les activités permettant la découverte des notions sont en effet envisageables. Par exemple, Sandrine Dinnat met également en ligne à la disposition de ses élèves des présentations (de type diaporama) et des cartes mentales. En effet, en proposant d’autres types de documents (textes ou corpus de textes, cartes, graphiques, images, pages web ou sitographie, etc.) on élargit le champ des activités possibles : recherche, discussion en ligne, co-construction d’hypothèses...

Quel délai imposer pour la réalisation du travail préparatoire ?

Le temps accordé aux élèves pour faire le travail en amont du cours est une variable importante à laquelle il faut réfléchir. Un délai trop court peut empêcher sa réalisation par l’ensemble des élèves. À l’inverse, un délai trop long peut être dommageable aux apprentissages visés ainsi qu’à l’activité en classe. Plus le temps entre ce travail préparatoire et la séance sera long, plus les élèves risquent d’en oublier le contenu et de perdre tout intérêt pour l’activité proposée.

Marie Soulié utilise uniquement ses capsules pour attiser la curiosité des élèves sur un sujet donné : le visionnage peut donc être fait la veille. Mais, dans la plupart des cas, on accordera un délai de 10 à 15 jours, notamment si un travail de réflexion est attendu. Les élèves seront de ce fait plus nombreux à faire l’activité. Cela laisse également du temps pour pallier les empêchements temporaires liés aux défauts de matériel ou de connexion.

Un délai suffisant est aussi intéressant pour le professeur car il doit analyser les réponses au questionnaire et adapter en conséquence les activités qu’il proposera en classe aux élèves. Il peut alors être pertinent d’imposer aux élèves une date butoir permettant à l’enseignant une préparation plus sereine.

Le travail hors-classe doit-il être fait à la maison ?

Dans le cadre d’une classe inversée, les élèves sont invités par leur professeur à effectuer le travail préparatoire depuis chez eux. Les activités hors la classe s’appuient généralement sur des outils numériques ce qui pose forcement, et à juste titre, la question de l’équipement.

Selon un rapport du CREDOC réalisé en 2015 [2], 97% des 12-17 ans ont accès à un ordinateur à leur domicile, 68% en ont même plusieurs. Dans 96% des cas, cet équipement s’accompagne d’une connexion à internet. Les équipements mobiles sont quant à eux en constante progression : 85% des 12-17 ans possèdent aujourd’hui un smartphone  , 42% une tablette.

Dans les faits, la très grande majorité des élèves français est donc équipée. La réalisation à la maison du travail hors classe est donc largement rendue possible par la progression rapide de la diffusion des équipements numériques dans les foyers français. Mais que faire pour le seul élève de la classe qui n’a pas d’ordinateur, de connexion internet ou d’équipement mobile ? Ou pour ceux qui ont tout l’équipement nécessaire chez eux, mais dont l’utilisation est partagée avec toute la famille ? Comment anticiper également les difficultés ou impossibilités temporaires de connexion pour causes multiples ?

Nicolas Lemoine propose à ses élèves « les vidéos sur clef USB   ou CD/DVD ». Il leur permet aussi « d’utiliser l’ordinateur du bureau du professeur (ou un autre ordinateur disponible) soit en début d’heure, soit lors d’une récréation, soit à tout autre temps avant le cours ». Enfin, ils ont également la possibilité de réaliser l’activité au CDI. En procédant de cette façon « depuis trois années que l’expérience est menée au collège Liberté de Drancy, tous les élèves participant à ces classes inversées ont pu réaliser le travail demandé sans aucune difficulté technique. »

Comment le temps de préparation par l’enseignant est-il impacté ?

Il ne faut pas se mentir : préparer une séquence pédagogique inversée demande du temps, mais qui sera rentabilisé à plus ou moins court terme. Outre le travail classique de préparation de cours, la conception et la réalisation des capsules et des questionnaires représentent un travail supplémentaire, sans compter le fait que jouer le jeu de la différenciation pédagogique implique la création de multiples activités pour une même séance.

La classe inversée ne laisse pas de place à l‘improvisation ni à l’implicite. Il est important que les élèves aient une bonne visibilité de ce qu’on attend d’eux, comme en témoigne Sandrine Dinnat : « Le premier temps de préparation de la classe inversée est de concevoir un plan de travail sur lequel toute la démarche d’une séquence pédagogique est proposée aux élèves. Y figure le travail à faire (à la maison ou en classe) et les compétences qui seront travaillées durant la séquence. Il doit être suffisamment détaillé pour que l’élève sache les étapes qu’il a à réaliser afin d’atteindre toutes les compétences visées et en combien de temps. »
L’exemple de plan qu’elle propose pour le cours sur la protection sociale en classe de 1ST2S montre bien la répartition des activités en classe/ hors classe, tout au long de la séquence, ainsi que les compétences travaillées.

La plupart des enseignants pratiquant la classe inversée créent leurs propres supports de « mise en bouche ». La réalisation de ces supports, notamment des capsules vidéo, nécessite du temps. Cependant, de nombreux outils performants [3] facilitent leur création et leur partage. On peut en effet obtenir des supports de qualité au rendu impressionnant sans y passer de trop nombreuses heures. Les fonctionnalités de ces outils permettent aux plus aguerris de peaufiner leurs réalisations, mais, si la forme a une part non négligeable sur l’appétence des élèves, c’est bien le contenu qui doit être précis et sans défaut pour permettre d’atteindre les objectifs visés par le travail préparatoire.

La conception du questionnaire en ligne qui accompagne généralement la capsule est à ajouter au temps de préparation. Son utilité est de vérifier si les élèves ont bien réalisé le travail et compris la notion. Là encore, la réalisation de ce questionnaire est facilitée par les générateurs de QCM en ligne. Il existe pléthore d’outils [4] aux potentialités inégales. Le choix du bon outil est donc important, c’est-à-dire qu’il faut choisir celui qui conviendra le mieux à l’enseignant au regard du type de questions qu’il veut poser (QCM, réponses courtes, réponses libres, etc…), des options de réponses qu’il désire (respect de la casse, tolérance d’erreurs, utilisation de formules mathématiques…) et des possibilités de feedback autorisant l’auto-évaluation.

Quoiqu’il en soit, le temps investi sera mis à profit, et ce sur plusieurs années, en réutilisant les capsules et les questionnaires à plusieurs moments de la séquence dans le cadre des activités en classe, par exemple, ou comme support de révision et d’auto-évaluation en dehors de la classe. Les professeurs peuvent aussi partager leurs créations au sein de leur équipe pédagogique.

Quel accompagnement peut-on préconiser durant le travail à distance ?

Certains professeurs de classe inversée se sont posé la question de l’accompagnement des élèves durant le travail préparatoire et ont choisi de mettre à profit l’outil numérique pour créer un échange entre eux et les élèves en dehors des heures de cours.

Cette relation en distanciel peut se limiter à donner le travail à faire et rendre accessible les ressources proposées. Par exemple, Sandrine Dinnat utilise Twitter et la messagerie électronique pour rappeler les devoirs. Elle consulte régulièrement le tableau des réponses aux questionnaires en ligne afin de « relancer gentiment » les retardataires jusqu’à la veille du cours.

L’enseignant peut envisager aussi d’utiliser le temps hors la classe pour répondre aux questions des élèves et apporter à distance son aide et son soutien. Mais, dans ce cas de figure, il est nécessaire de fixer des limites pour ne pas rendre, aux yeux des élèves, le professeur disponible à toute heure du jour et de la nuit. Des rendez-vous pour des échanges synchrones ou non peuvent être fixés sur des plages horaires définies à l’avance.

Durant ces rendez-vous distants, l’intelligence collective de la classe peut être sollicitée en favorisant les échanges entre élèves. Le choix de l’outil est ici, encore une fois, fondamental. Il doit permettre des échanges écrits, voir même des échanges de fichiers, de façon sécurisée, en vase clos, avec et éventuellement entre les élèves. Les ENT   répondent à tous ces critères. Cependant, les limitations de taille des fichiers et l’absence d’outils d’écriture collaborative et de streaming   poussent certains collègues à utiliser d’autres outils grand-public. Dans ce cas, si la création de comptes élèves est nécessaire, il faudra veiller à respecter les règles d’inscription, comme la limite d’âge, ainsi que les lois françaises en lien avec le traitement des données personnelles des utilisateurs, notamment si ces derniers sont mineurs.

Nicolas Lemoine combine plusieurs outils. Il a ouvert un blog   sur lequel il stocke les ressources utiles pour « garder une mémoire du travail fait, mais aussi aider les élèves à gagner en autonomie ». Il a créé une chaîne Youtube pour y déposer et diffuser ses propres capsules vidéo. Enfin, pour échanger avec les élèves, il a choisi les réseaux sociaux. « En effet, ces derniers sont très utilisés par les élèves. Ils leur permettent d’avoir un accès plus régulier aux informations que l’enseignant peut y déposer. Cela permet aussi d’aborder avec eux l’éducation aux médias. Il est très important que l’enseignant n’utilise évidemment pas ses comptes personnels mais qu’il se créé des comptes "professionnels" sur lesquels il n’interagit qu’en lien avec son métier d’enseignant. »

Quand inverser au cours d’une séquence ?

Inverser chaque séance est peu envisageable. De même, ne proposer, comme travail à la maison, que l’activité préparatoire en début de séquence (ou de chapitre…) perd en efficacité. Tout en évitant le travail à faire la veille pour le lendemain, pourquoi ne pas proposer sur un temps plus long, des activités « fil rouge » qui contribuent à la compréhension et à la construction progressive de la notion chez les élèves ?

Ainsi, Nicolas Lemoine « donne des devoirs à la maison » intégrant une longue période de recherche durant laquelle l’élève peut solliciter l’enseignant autant de fois qu’il le souhaite en cas de difficultés particulières.

Sandrine Dinnat, quant à elle, propose à ses élèves des activités collectives qui transcendent les séances, comme, par exemple, participer à alimenter le compte Twitter de la classe en tweetant l’actualité sanitaire et sociale. Ce type d’activité a l’avantage de faire exister le groupe classe en dehors de ses murs et de prolonger le travail entre pairs dans un esprit d’entraide et de mutualisation.

Comment prolonger en classe du travail fait hors-classe ?

En choisissant bien ses outils, le professeur peut vérifier le travail réalisé par les élèves. La plupart des outils de quiz en ligne permettent à l’auteur d’un questionnaire, non seulement, de consulter les réponses afin de savoir si le travail a été fait, mais aussi, d’en évaluer la qualité. Cette étape est importante car elle permet :
  • Premièrement, comme le dit Sandrine Dinnat, de « vérifier ce qui a ou non été compris et, ainsi, de réajuster en classe certaines notions. » On peut alors réfléchir à des stratégies de remédiation comme « revoir telle ou telle partie de la vidéo en classe entière ou simplement aller voir individuellement les quelques élèves ayant eu des difficultés. ». C’est ce que propose Nicolas Lemoine. On peut aussi constituer des groupes homogènes ou non en vue d’augmenter les interactions entre les élèves.
  • Deuxièmement, de guider les activités proposées en classe. Marie Soulié ne pose pas de questions de compréhension à ses élèves, ce sont eux qui lui en posent. Tout comme Sandrine Dinnat, elle leur laisse dans le quiz la possibilité de formuler leur propre questionnement. Ces questions libres « permettent d’établir des axes de réflexion en lien avec le cours. ». Marie Soulié quant à elle, réunit, dans ce qu’elle appelle « l’îlot des curieux », tous les élèves ayant rédigé une question.

PENDANT LE COURS

Quelles activités proposer aux élèves ?

Il n’est pas possible de lister toutes les activités envisageables en classe inversée. Les seules limites sont celles de l’imagination pédagogique. Mais, ces activités doivent toutes être guidées par quelques principes :

  • La pédagogie active : les élèves sont créateurs. Ils réalisent et ne sont pas de simples exécutants. Ils créent leurs propres supports.
  • La prise d’initiative : les élèves sont chercheurs, ils réfléchissent, s’interrogent, tâtonnent, essayent, se trompent parfois, se corrigent et choisissent leur propre voie pour arriver à leurs fins.
  • La différenciation pédagogique : les élèves sont variés et variables. Ils n’ont pas tous les mêmes besoins, il progressent et régressent parfois et pas tous au même rythme. Leurs différences ne s’arrêtent pas à leur niveau ou à leurs compétences, mais elles dépendent aussi de leur degré d’autonomie, de leur assurance, de leurs goûts, de leur forme d’intelligence (visuelle, auditive, etc.). Le cours doit tenir compte de cette diversité et la mettre à profit.
  • Le travail collaboratif : les élèves sont partenaires dans leurs apprentissages, chacun a quelque chose à apporter aux autres. Ils mutualisent leur travail et construisent le savoir ensemble.
    La classe inversée (comme d’autres formes de pédagogie) intègrent ces principes fondamentaux, non pas pour formater un élève unique, mais pour former des individus autonomes, confiants, réfléchis et accomplis.

Il est important de créer une variation dans les activités proposées afin de renouveler l’intérêt des élèves, de travailler différentes compétences, ou de permettre aux élèves de s’affirmer davantage lorsqu’ils se sentent plus à l’aise face à une tâche demandée. Marie Soulié et Sandrine Dinnat conçoivent ainsi leurs séquences en plusieurs phases ou temps d’apprentissage.

Dans le cours de Marie Soulié, les activités se font en quatre phases :

  • La phase de réflexion : temps d’échanges entre pairs qui permet de corriger les incompréhensions de certains
  • La phase de construction : temps de réalisation d’une tâche complexe, chaque groupe devant rédiger la notion sous forme de carte heuristique   ou de mandala
  • La phase de mise en commun : un élève rapporteur projette et explique la carte heuristique produite par son groupe devant toute la classe
  • La phase de production : temps de construction du bilan.

Avec Sandrine Dinnat, dans un premier temps, « les questions éventuellement posées par des élèves dans le formulaire en ligne sont notées et font l’objet d’un travail collaboratif de recherche ou d’approfondissement lors de la première étape de mise en activité ». La seconde étape se fait en trois temps :

  • vérification des savoirs à travers un exercice qui évalue la bonne compréhension des notions
  • travail des savoir-faire à travers une tâche complexe et une production de groupe (réalisation de vidéos, par exemple)
  • évaluation par une tâche individuelle sur le modèle du baccalauréat.

Quelles productions attend-on des élèves ?

Lors des activités de groupe en classe inversée, il est en général attendu des élèves une production de ressources. Il ne s’agit pas ici de simplement faire des exercices (même s’il peut s’agir d’une étape vers la tâche finale), mais de créer une ressource qui expliquera la totalité ou une partie de la notion abordée, permettant ainsi de vérifier la bonne compréhension des élèves sur l’élément central du cours. Ces ressources peuvent être diverses : vidéos, cartes mentales, exposé oral, mandala, ou encore des questionnaires de compréhension à destination des autres classes comme le propose Sandrine Dinnat. L’idée est que la ressource produite soit utile pour le groupe, la classe, voire au-delà.
Mandala sur le pluriel réalisé dans la classe de Marie Soulié
Mandala sur le pluriel réalisé dans la classe de Marie Soulié

D’après Sandrine Dinnat, ces réalisations doivent permettre de vérifier les savoir-faire des élèves (analyser, caractériser, commenter, montrer en quoi…) ainsi que la maîtrise des notions en lien avec le programme et leur contexte d’application.

Comment constituer les groupes de travail ?

Sur ce point, la classe inversée offre un avantage indéniable : le travail préparatoire. C’est une précieuse source d’informations sur la représentation, la compréhension, ou l’intérêt suscité par une notion ou un concept. Il peut ainsi servir d’appui à la constitution des groupes quelque soit l’objectif recherché. A titre d’exemple, Marie Soulié compose ce qu’elle appelle « l’îlot des curieux » avec tous les élèves qui ont posé une question dans le formulaire en ligne. Elle prend ainsi le temps, en début d’heure de répondre à leurs questions.

Les modalités de constitution des groupes sont multiples. Leur formation peut répondre à différents objectifs :

  • Constituer des groupes de besoin pour travailler une compétence mal maîtrisée par les élèves.
  • Constituer des groupes hétérogènes pour faciliter l’entraide comme le fait Nicolas Lemoine.
  • Constituer des groupes par affinité pour un travail plus serein et efficace.
  • Constituer des groupes de sensibilité ou d’intérêt pour favoriser la curiosité et le dynamisme. C’est le cas par exemple avec « l’îlot des curieux” » dans la classe de Marie Soulié.
  • Constituer des groupes de formes d’intelligence (d’après les « intelligences multiples » théorisées par le psychologue américain Howard Gardner en 1983). Cela dans le but d’utiliser les points forts des élèves ou, au contraire, de les entraîner à une forme d’intelligence spécifique.

On veillera à varier les stratégies et la constitution des groupes afin que le rituel ne devienne pas une routine contre-productive.

Que faire des élèves n’ayant pas réalisé le travail préalable ?

Si beaucoup de professeurs constatent un travail à la maison effectif de la part des élèves, la classe inversée ne résout pas forcément entièrement le problème. Comme l’explique Sandrine Dinnat, « pour diverses raisons, il arrive que certains élèves (2-3 par séquence) n’aient pu prendre connaissance de la capsule ou des documents de travail. » Il faut alors composer avec ces élèves et trouver une solution pour les intégrer au travail du reste de la classe.

Il est possible, comme le fait Sandrine, de leur permettre de consulter la capsule en classe sur un poste informatique ou, avec l’accord du chef d’établissement, de pratiquer le BYOD  . Les élèves réintègrent leur groupe de travail une fois le visionnage terminé.

Vous pouvez également vous appuyer sur le reste de la classe et demander aux élèves du groupe d’expliquer à leur(s) camarade(s) ce qu’ils ont compris dans le travail préalable. Cela permet un réinvestissement du travail préparatoire et une meilleure appropriation du savoir.

Un rôle spécifique peut être fourni à ces élèves, comme celui de rapporteur du groupe. Ils devront alors nécessairement « récupérer » leur retard dû au travail préparatoire non fait et devront sûrement interroger les autres membres du groupe pour comprendre ce qu’ils doivent expliquer à leur tour.

Quel est le rôle du professeur pendant la classe ?

Si on reprend l’idée que se fait Nicolas Lemoine de la classe inversée, le but est de libérer du temps en classe durant lequel le professeur est utile. Même si dans la démarche de la classe inversée comme de toute pédagogie active, le professeur n’est plus la seule source du savoir, il en reste le garant. Il se doit de vérifier et de valider les travaux des élèves en continu durant le cours.

Pour Marie Soulié ou Sandrine Dinnat, le professeur a plus un rôle de « guide », ou de « régulateur ». Il passe voir tous les groupes de façon inégale, selon les besoins, il répond aux questions, anime et vérifie que les délais de temps sont respectés.

Les élèves n’ayant pas tous les mêmes besoins d’accompagnement, le professeur doit intervenir de façon différenciée et il peut le faire car le vrai moteur de la classe, c’est l’intelligence collective ! Il n’est donc plus le seul vers qui les élèves se tournent : ils peuvent questionner les membres de leur groupe ou encore les ressources qui sont mises à leur disposition.

Pour Nicolas Lemoine, libéré de l’écriture du cours, le professeur peut ainsi se concentrer davantage sur les élèves en difficulté. « Pour les groupes ayant plus de difficultés, l’enseignant consacre beaucoup de temps en s’asseyant au sein du groupe pendant parfois 10 ou 15 minutes de suite, ce qui est réellement très profitable pour les élèves ».

Ce changement de posture est très bénéfique comme l’explique Marie Soulié : « les élèves qui ont des difficultés sont accompagnés par le professeur qui n’est plus en face, mais à côté d’eux. »

Les autres élèves, même les meilleurs, sont aussi demandeurs d’une aide ou, du moins, d’un accompagnement de la part de leur professeur. Il ne s’agit pas de les laisser se débrouiller complètement seuls. Pour répondre à leur demande et favoriser leur autonomie, le professeur peut leur proposer des « coups de pouce » préparés à l’avance. Il peut s’agir par exemple de rappels méthodologiques, d’un questionnement particulier, d’étapes préalables à la réalisation de la tâche finale, de ressources créées plus tôt dans l’année par les élèves… les possibilités sont nombreuses. Ces coups de pouce sont à distribuer aux groupes selon les besoins de chacun. Ils peuvent aussi être mis à disposition en fond de classe.

La classe inversée change-t-elle l’organisation physique de la salle ?

Pour favoriser l’intelligence collective et le travail en autonomie, l’organisation de la salle de classe doit être réfléchie. Inutile de tourner toutes les tables vers le professeur, mieux vaut les disposer en îlots pour favoriser la communication au sein du groupe. Ceci peut poser des difficultés en cas de partage de la salle avec d’autres collègues car il faudra disposer et redisposer la salle à chaque séance, même si on peut se demander quelle est l’organisation « normale » d’une salle de classe.

Nicolas Lemoine choisit de placer à proximité du tableau les groupes d’élèves les plus en difficultés pour pouvoir les aider plus facilement. Les élèves ayant plus de facilité sont placés dans des groupes en font de classe, pour « développer une meilleure autonomie ».

Des ressources peuvent être mises à disposition des élèves que se soit sur les murs, sur les tables ou dans une armoire à laquelle ils peuvent accéder régulièrement. La décoration devient ainsi partie prenante du travail collaboratif et de l’autonomie des élèves, comme les QR Codes qui ornent les murs de la salle de Marie Soulié.

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APRÈS LE COURS

Que reste-t-il du cours pour les élèves ?

Les ressources produites par les élèves au fil des séances sont les principales traces du cours. Si ces travaux ont été créés collectivement, il est important de les rendre disponibles à n’importe quel membre du groupe.

Sandrine Dinnat propose par exemple que « les travaux ayant nécessité l’utilisation de l’outil numérique soient traduits en QR Code » afin de les rendre accessibles rapidement et sur un appareil mobile. Ces QR Codes peuvent être collés dans les cahiers.

Les travaux de groupe étant préférablement différenciés, les ressources créées par les élèves ont vocation à être partagées au sein de la classe, mais aussi, pourquoi pas, au sein de l’établissement, voire au-delà. Marie Soulié et Sandrine Dinnat se servent par exemple du site web de leur établissement pour mettre en ligne les productions de leurs élèves. Il est pour elle « primordial de rendre visible la production pour donner de la valeur au travail et générer ainsi du plaisir et de la fierté. » Ceci permet également de les rendre accessibles par tous, depuis la maison. En partageant les travaux des élèves, Sandrine Dinnat attend également des échanges réflexifs avec ses collègues sur le fond et sur la forme de ces productions.

Le travail préalable à la réalisation de ces ressources peut également être faite sur les cahiers des élèves, ainsi ils gardent une trace de leur réflexion collective, des pistes qu’ils auraient envisagés et de l’évolution de leur travail en plus de la production finale.

Les élèves de Sandrine Dinnat et de Nicolas Lemoine ont également, comme traces, la partie du cours qui a été recopiée lors du travail préparatoire.

Quelle évaluation pour les élèves ?

La pratique de la classe inversée se prête très bien à l’évaluation formative car elle est propice à la mise en place des six composantes de ce type d’évaluation [5] :
Les composantes de l'évaluation formative
Les composantes de l’évaluation formative
D’après le Rapport OCDE/CERI, Évaluer l’apprentissage, l’évaluation formative (2008), OCDE/CERI. page 6.

Proposer des activités différenciées selon les groupes et constater les difficultés et les facilités des élèves relève bien du domaine de l’évaluation formative. On peut même laisser aux élèves le choix de leurs activités en fonction des compétences qu’ils veulent développer ou acquérir. Les compétences travaillées et les critères d’évaluation doivent être clairs pour les élèves. C’est le cas dans le plan de travail que propose Sandrine Dinnat à ses élèves en début de séquence (voir plus haut). C’est le cas également des ceintures de compétences de Marie Soulié qui permettent à l’élève de revenir sur ses erreurs et de s’améliorer.

Ceinture de compétences - Grille d'évaluation
Ceinture de compétences - Grille d’évaluation
Chaque couleur correspond à un degré d’acquisition connu par l’élève. Le professeur met autant l’accent sur les réussites que sur les erreurs.

Le travail de groupe en lui-même peut également être évalué dans le but d’encourager l’interaction. Marie Soulié s’est ainsi constitué son propre outil permettant l’évaluation non seulement du groupe dans sa totalité, mais aussi de chacun de ses membres. Plastifiée et fixée sur chaque table, cette « carte des îlots » est complétée au feutre pendant l’heure, effacée, et réutilisée séance après séance. L’évaluation est basée sur des critères d’écoute, de participation, de gestion du temps et d’organisation.

Carte des îlots de Marie Soulié
Carte des îlots de Marie Soulié

Les fondamentaux de la classe inversée peuvent aussi être prolongés jusqu’à l’évaluation sommative. Il est possible de différencier sa pédagogie en proposant des sujets différents aux élèves ou encore d’étirer l’apprentissage par les pairs jusqu’au jour de l’évaluation. Sur une idée de Stéphane Renault, professeur de sciences sanitaires et sociales dans l’académie de Créteil, Sandrine Dinnat propose à ses élèves « une évaluation sommative sous une forme coopérative ». Pour préparer l’évaluation, « les élèves doivent rédiger une question portant sur le cours, ils sont ensuite invités sur un forum   pour l’y déposer avec son corrigé. Pour cela ils doivent utiliser les bons verbes de consignes et formuler la question en fonction des compétences à évaluer (ils ont avec eux une carte mentale représentant les différents niveaux des verbes de consigne et une grille de compétences) ». Sandrine n’utilise alors dans son évaluation « que des questions proposées par les élèves et qui auront été validées après amélioration faites par les camarades ».

Encore une fois, la seule limite ici est l’imagination du professeur.

[2Régis Bigot, Lucie Brice, Patricia Croutte, Pauline Jauneau-Cottet, Sophie Lautié. La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française (2015), CRÉDOC, Sourcing n°4348, 27 novembre 2015.

[3Voir la MédiaFICHES "Zoom sur les capsules vidéo".

[5Rapport OCDE/CERI, Évaluer l’apprentissage, l’évaluation formative (2008), OCDE/CERI. page 6.